Cette série d’articles est destinée aux photographes amateurs qui comme moi veulent s’affranchir des logiciels de développement photographique sous licence propriétaire (Adobe Lightroom, par exemple). Il est possible que vous ne soyez pas concerné si vous avez décidé d’utiliser basiquement votre matériel photographique pour produire directement des fichiers .Jpg. Si vous ne savez pas que la photographie numérique utilise des fichiers informatiques avec des formats très variés, et des compressions plus ou moins poussées, vous pouvez également passer votre chemin.
Par contre si vous êtes intéressé par les possibilités étendues qu’offre le traitement de fichiers « vierges » (avant complète intervention de l’électronique de traitement de l’appareil photo), alors cet article peut vous intéresser. Les fichiers dont il sera question ici sont les fichiers RAW (bruts) qui sont nommés « .NEF » chez Nikon, ou « .CRW », « .CR2 » chez Canon. Je ne prétends pas donner de recette pour l’obtention de résultats « parfaits ». La notion de perfection est subjective. Je tente simplement de partager mon expérience d’utilisateur. Darktable permet le développement, la retouche, le classement de vos photographies numériques. Il s’intègre dans un flux de production de photo (de la prise de vue jusqu’à la publication). Une première prise de contact avec Darktable est fortement conseillée avant de lire ce qui suit. La version 3.2.1 de Darktable sert de base à cet article.
Passons tout d’abord par quelque rappels sur des bases de photographie numérique. Le capteur de votre boitier photographique restitue l’image qu’il acquiert avec une certaine plage dynamique du spectre de luminance (la luminance étant l’expression d’une quantité de lumière). Cette plage dynamique est l’écart entre les blancs extrêmes et les noirs extrêmes de la lumière acquise par le capteur photo. L’indice de luminance (ou indice de lumination) utilisé en photographie est le résultat d’une fonction incluant le couple temps de pose, nombre f. Pour un temps de pose t et un nombre f N, l’indice de luminance est:
D’autre part la multiplication par deux de la luminance correspond à une augmentation de 1 IL. De cette relation de puissance de deux entre luminance et IL on peut faire un rapprochement avec la structure binaire du codage de nos fichiers (un bit peut avoir 2 valeurs: 0 ou 1). Les possibilités de représentation d’entiers numériques sont 2 n, n étant le nombre de bits utilisés (par exemple, un codage sur 32 bit permet de compter de 0 jusqu’à 2 32 soit 4294967296).
Un codage sur 14 bit permettra une plage dynamique de 14 IL. Les boitiers photo de milieu de gamme permettent d’atteindre cette valeur. Vérifiez donc que votre boitier le permet. Si un paramètre du menu doit être modifié pour atteindre un codage sur une plage dynamique supérieure à celle proposée par défaut, modifiez le. Pour comparaison, une plage dynamique réelle théorique de 16 IL est possible avec un ISO 100 par temps ensoleillé. La plage dynamique de la vision humaine reste supérieure à ces valeurs, avec toutefois une baisse très importante de la sensibilité sur les extrémités du spectre lumineux visible (vers 400 nm et 650 nm). La sensibilité ISO est le troisième facteur qui entre dans le résultat de l’acquisition d’une image par le capteur photographique. Plus on pousse la sensibilité du capteur, plus la plage dynamique qu’il est capable de restituer se réduit. Quelques labos publient régulièrement les mesures qu’ils effectuent sur les boitiers photographiques. DxO publie des courbes de mesure sur le site DxOMark. Vous y trouverez la courbe de réponse IL f(ISO) de votre boitier. Elle pourra servir de référence pour élaborer des guides de réglages de base du module que je vais présenter.

Darktable possède de nombreux modules de traitement dont le plus récent est le module de mappage des tonalités « Filmique rvb« . Ce module est destiné à remplacer les anciens modules de tone mapping à commencer par le module « courbe de base ». Ce dernier tentait de reproduire les algorithmes de traitement des boitiers, à partir de préréglages. Oubliez donc ce module « courbe de base ».
Le traitement de tone mapping consiste à mettre en correspondance une palette de couleurs avec une autre, dans le but de convertir une image de grande gamme dynamique vers une image de dynamique plus restreinte. Les écrans multimédias, les images imprimées ou les vidéoprojecteurs ont tous une gamme dynamique limitée ne permettant pas de reproduire toute la gamme des intensités lumineuses présentes dans les scènes réelles. Pour exemple, les écrans d’ordinateurs ont une plage dynamique de 8 IL en général. Le mappage de tonalité permet alors de réduire localement les forts contrastes de lumière afin de préserver les détails de l’image et les nuances de couleur et de restituer les détails de la scène originale sur ces supports. Le module « filmique rvb » de Darktable utilise, entre autre, un algorithme de compression tonale des hautes lumières et des basses lumières. Cette compression se justifie par la plus faible sensibilité de l’œil humain dans les extrémités du spectre lumineux visible.
Dans la fenêtre « Chambre noire » de Darktable lorsque vous chargez une photo pour la première fois, certains traitements sont assurés systématiquement et apparaissent dans le volet « Historique » a gauche de l’image.

La pile d’historique contient tous les modules de traitement dans l’ordre dans lequel ils sont appliqués à l’image. Ceux qui n’apparaissent pas à l’état activé (« balance des blancs », « reconstruire les hautes lumières » et « orientation ») peuvent être activés et modifiés après application d’autres modules, mais ils resteront dans leur position initiale dans la pile. Je donne maintenant une suite d’opérations à réaliser dans l’ordre et qui correspondent à mon flux de traitement de base, avant d’utiliser si nécessaire des modules de correction ou de retouche:
- réglage de l’exposition pour que l’ensemble des informations du spectre de luminance soit visible sur le graphe situé en haut du panneau de droite. Ce réglage est plus agréable à réaliser directement avec la souris sur le graphe. Ce réglage est également un centrage des gris moyens avant l’étape de mappage. A noter que sur le graphe, la zone de gauche correspondant aux tons foncés (vers le noir) est indépendante de la zone de droite. Je vous conseille de choisir la forme logarithmique pour l’affichage du graphe. Cela augmente la précision dans les réglages de la zone des tons foncés.

- Dans le module « filmique RVB » vous pouvez conserver les options par défaut (notamment utiliser un gris moyen de 18,45%, sauf si l’image est largement surexposée). Allez directement dans le menu « scène » et utilisez les pipettes pour régler approximativement les expositions relatives du blanc et du noir.

Affiner les réglages de façon à ne pas avoir de zone sur-exposée ou sous-exposée. Aidez vous des marqueurs pour voir ces zones.

Maintenant, voici un guide qui permet de juger si les réglages sont cohérents avec la sensibilité ISO de la prise de vue. Sur le graphe IL f(ISO) disponible sur le site DxOMark pour votre boitier, la somme des expositions relatives du noir et du blanc devrait correspondre à la plage dynamique de votre capteur pour le réglage ISO adopté à la prise de vue. Dans l’exemple ci-dessus, la sensibilité était de 500 ISO. Cette valeur correspond sur la courbe IL f(ISO) à 12 IL. la somme des niveaux d’exposition du blanc et du noir est de 12,11 IL pour les réglages de la scène (+3,08 IL -9,3 IL). Notez que les valeurs négatives n’ont de sens que par rapport à un point neutre (le 0) sur une échelle continue de luminance.
Vous pouvez utiliser les valeurs de plage dynamique fonction du réglage ISO pour établir des préréglages du module filmique. Ces préréglages ne sont que des guides et peuvent devenir inappropriés dans des cas de sur-exposition ou de sous-exposition.

- Le réglage du contraste est ensuite réalisé par intervention sur la courbe en S du menu « look » du module « Filmique RVB ». Soyez attentif à ne pas saturer les tonalités en extrémités de la courbe en S (la courbe prend alors la couleur jaune dans la partie écrêtée).

Une fois ces opérations effectuées vous devriez obtenir une image satisfaisante sur le plan perceptuel. Une image qui reproduit ce que vous avez vu (qui n’est pas une réalité intangible). Dans la plupart des cas vous pourriez vous en tenir là. Si toutefois vous voulez améliorer cette image, de nombreux autres modules sont à votre disposition dans Darktable. J’utilise régulièrement les modules « retouche », « correction des taches », « correction des objectifs », « contraste locale », « suppression de la brume », « réduction du bruit », « égaliseur de ton », »correction de perspective ». La plupart de ces modules peuvent utiliser des masques pour des interventions localisées sur une image.
Pour ceux qui sont intéressés par des informations plus détaillées sur le moteur du module filmique je conseille de suivre les tutos et mémos d’Aurélien Pierre qui développe les algorithmes de traitement de ce module.
Voila.