Je viens de lire un article dans Arstechnica relatant la malheureuse aventure de l’ordinateur LISA créé par Apple il y a tout juste 40 ans. Pour ceux que l’anglais ne rebute pas, je conseille de lire l’article original rédigé par Jeremy Reimer. Inspiré de cet article et corrigé de quelques inexactitudes, voici un résumé de la genèse de la micro-informatique personnelle grand public, celle qui met en oeuvre un environnement utilisateur basé sur des interfaces graphiques et la manipulation de fenêtres et d’icônes avec une souris.
Il ya 40 ans un nouveau type d’ordinateur fut créé. Il allait changer le monde… Deux ans plus tard il était totalement oublié.
Le projet LISA d’Apple commença en 1978, mené par Steve Wozniak (co-fondateur avec Steve Jobs de la société Apple computer). L’idée était de créer un ordinateur utilisant un processeur organisé en tranches de bit (bit-slice processor), le prédécesseur des micro-processeurs modernes VLSI (Very Large Scale Integration). Ce n’est qu’au début de l’année 1979 qu’Apple embaucha un directeur et une équipe pour travailler sur ce projet.
LISA est le prénom de la fille de Steve Jobs (Le patron d’Apple a toujours nié le lien entre sa fille et le projet). Mais le point le plus remarquable au sujet de l’ordinateur LISA c’est qu’il a évolué vers le premier micro-ordinateur personnel grand public avec une interface utilisateur graphique.
A l’origine, une vision
Les interfaces graphiques ont été inventées au Xerox’s Palo Alto Research Center (PARC) dans les débuts des années 1970. La station de travail ALTO issue des recherches menées au PARC n’a jamais été commercialisée. Elle possédait un écran matriciel qui simulait la taille et l’orientation d’une feuille de papier. Les chercheurs du PARC avait écrit du logiciel qui affichait des fenêtres et des icônes et ils utilisaient une souris pour déplacer un pointeur sur cet écran.

L’interface graphique de l’ALTO était basée sur SmallTalk un environnement de développement graphique qui servait aussi d’interface utilisateur.

Jef Raskin, un des premiers employés d’Apple (il a écrit le manuel pour l’Apple II) avait visité le PARC en 1973. Il était ressorti persuadé que les interfaces graphiques étaient l’avenir. Raskin a réussi à persuader le directeur du projet LISA d’intégrer une interface graphique. Malheureusement il ne réussit pas à convaincre Jobs.
Alors Raskin modifia son approche et poussa Bill Atkinson, un programmeur de code graphique et nouvel employé chez Apple, à proposer une visite officielle du staff d’Apple au PARC en Novembre 1979. Jobs avait Atkinson en estime et accepta de participer à la visite. La visite de Jobs au PARC suscita chez lui une vision fulgurante de ce que devait être le futur de l’informatique. L’interface utilisateur graphique était le futur de l’informatique personnelle selon la vision de Jobs. En réalité Atkinson travaillait déjà sur LisaGraf le code machine qui allait constituer l’interface graphique du LISA des mois avant la visite de Jobs au PARC. Suite à sa visite au PARC, Jobs conclura un accord avec les dirigeants de Xerox: Xerox pourra acheter des actions Apple à tarif préférentiel contre l’utilisation de plusieurs technologies créées par Xerox. (Notez qu’Apple profitait alors du succès commercial de l’Apple II, micro-ordinateur personnel avec une interface en mode texte).
La structure électronique du LISA évolua. L’équipe de développement abandonna le processeur à tranches de bit pour le tout nouveau 68000 Motorola. En janvier 1981 le directeur du projet LISA chez Apple, fatigué des constantes interventions de Jobs dans la gestion du projet vira Jobs de l’équipe. Jobs, rancunier suite à cette mise à l’écart forma une petite équipe totalement autonome chargée de travailler en secret sous la direction de Raskin pour la partie logiciel d’un autre projet. Ce conflit interne chez Apple allait prendre toute son importance par le suite.
Au début de 1982, la structure physique du LISA était prête. Par contre la partie logicielle était toujours en développement. Une équipe de chercheurs dont faisait partie Larry Tesler, un ancien salarié du PARC réalisait de multiples prototypages, et tests pour faire fonctionner l’interface graphique.
Finalement LISA fut révélée au public le 19 janvier 1983 comme étant la révolution que le monde attendait.
Le LISA vint au monde
Le LISA était un ordinateur personnel « tout-en-un » avec un écran monochrome d’une résolution de 720×365 pixels. Il était basé sur un processeur Motorola 68000 tournant à 5 MHz. Il était équipé de deux lecteur de disquette 5.25′, mais il était conçu pour utiliser un disque dur de 5 MB posé sur le dessus de l’ordinateur.

LISA était fourni avec un système d’exploitation et une « suite office » de sept applications: LisaWrite, LisaCalc, LisaDraw, LisaList (une base de données minimaliste), LisaProject, LisaTerminal (un émulateur de terminal qui fonctionnait avec un modem), et LisaGraph. Le système d’exploitation (Lisa OS) fonctionnait en multitâche préemptif et pouvait faire tourner de nombreuses applications simultanément. Ces applications livrées avec LISA étaient vraiment complètes pour l’époque. LisaWrite, le traitement de texte intégrait un dictionnaire et un correcteur d’orthographe. Il intégrait également de multiples polices de caractères. Des contenus pouvaient être copiés et collés entre applications ce qui est d’autant plus étonnant que le concept de copier/coller n’existait pas encore et devait être inventé plus tard par Larry Tesler.
Cet assemblage révolutionnaire d’électronique et de logiciels était impressionnant mais son coût était en rapport. LISA coûtait 10000 US $ ce qui ferait environ 30000 US $ de nos jours. Ce prix était trop élevé pour les utilisations personnelles. Les professionnels – le marché cible du LISA – auraient payé ce prix, mais ils avaient plutôt besoin d’un ordinateur sur lequel pouvaient se connecter de nombreux utilisateurs avec des terminaux peu coûteux pour faire tourner d’ennuyeux programmes de gestion. La grosse majorité de ces professionnels n’avaient que faire d’applications de conception ésotérique pour passionnés d’art graphique.
Cette erreur de casting eu pour résultat un faible volume de commandes. Seulement quelques milliers d’exemplaires furent vendus la première année. Les ventes ne progressèrent pas après. Ce fut un flop commercial. De son côté, Jobs n’encourageait pas non plus les achats en disant à tout le monde que le vrai ordinateur révolutionnaire d’Apple le MacIntosh allait bientôt être mis sur le marché.
Le destin du LISA
Après avoir été écarté de l’équipe LISA, Jobs mena avec Raskin un développement autour du projet Macintosh. Raskin était chargé du développement des interfaces graphiques et Jobs dirigeait la conception de l’équipement. En raison d’un conflit avec Jobs (Jobs voulait prendre la direction générale du projet) Raskin quitta Apple.
Jobs réussi à mener à bien le projet MacIntosh en délocalisant la petite équipe Macintosh dans un autre bâtiment, faisant flotter un drapeau pirate sur le toit et pratiquant des incursions de piratage dans le bâtiment de l’équipe Lisa pour y voler matériels logiciels et recruter des ingénieurs.
LisaGraf, l’ensemble de routines graphiques hautement optimisées écrites par Atkinson fut renommé QuickDraw et intégré au Macintosh. Cette intégration était facilitée par le fait que le Lisa et le Macintosh utilisait le même microprocesseur (68000 Motorola). L’interface constituée de barre de menu de bureau et d’icônes fut également intégrée mais au prix d’une légère transformation nécessitée par une drastique réduction des coûts de production.
En effet, le Macintosh allait être commercialisé à un prix quatre fois moins élevé que le prix du Lisa (environ 2500 US contre 10000 US $). Pour réussir cette réduction de prix Jobs a supprimé les éléments les plus coûteux de l’architecture du Lisa pour fabriquer le Macintosh. Le Macintosh n’avait qu’un lecteur de disquettes alors que le Lisa en avait deux plus un disque dur. Le Macintosh n’avait que 128 Ko de RAM, comparé au 1 Mo du Lisa. Le Macintosh possédait un écran plus petit que le Lisa (résolution: 512×342 pixels). Le Macintosh n’avait pas d’autres applications que MacWrite et MacPaint (les autres applications devaient être écrites en assembleur pour pouvoir tourner avec une petite quantité de mémoire RAM, et ça prenait beaucoup de temps en écriture). De plus le Macintosh ne pouvait faire tourner qu’une application à la fois alors que le Lisa était multitâche.
Le Lisa 2 a été mis sur le marché en 1984, au même moment que le Macintosh. Il avait une enveloppe différente du premier Lisa mais les composants internes étaient les mêmes. Il était équipé d’un lecteur de disquettes 3,5′ et possédait une connection pour un disque dur interne. Son prix était descendu aux environs de 3500 US $. Les ventes ont commencé à augmenter.
Entre temps Jobs avait viré le directeur qui l’avait débarqué du projet Lisa. Il était maintenant en charge des deux produits Lisa et Macintosh. Il renomma le Lisa 2 « Macintosh XL » et le commercialisa avec des applications qui étaient basé sur le système d’exploitation du Macintosh. En 1985 il mit fin définitivement à la production du Lisa. Le stock fut vendu à une société tiers et en 1989 Apple jeta 2700 Lisa à la casse pour profiter de réductions d’impôts.
Conclusion
Malgré quelques imperfections dans son interface graphique le projet Lisa a établi ce qui allait devenir le standard des interfaces graphiques pour les 40 ans qui suivirent. Les concepts de barre de menu, de menu déroulant, double clic, les effets de fenêtres superposées et enfin l’idée du copier/coller ont été inventées par Apple et appliqués pour la première fois sur le Lisa.
L’ordinateur Lisa est un marqueur dans l’histoire de l’informatique. 40 années après sa mise sur le marché, il demeure exemplaire du fait que les meilleures idées n’ont pas forcément du succès.
Par ailleurs, les Lisa fonctionnant encore sont devenus aujourd’hui des objets de collection, dont la valeur peut monter à plusieurs milliers d’euros.
Voilà.