On ne peut pas parler de logiciel libre sans d’abord passer par la définition juridique de la licence libre. Comme toute œuvre de l’esprit, un logiciel est protégé automatiquement et implicitement par la loi sur le droit d’auteur. La mise à disposition d’une œuvre, logiciel ou non, notamment sur l’Internet, doit donc être un acte volontaire et explicite. Cet acte s’exprime par l’adjonction d’une licence, qui est un contrat type proposé aux acquéreurs de l’œuvre (gratuit ou payant) indiquant les droits qui leur sont concédés, et les obligations éventuelles qui leur sont imposées en échange.
Une licence libre garantie aux utilisateurs des libertés fondamentales.
Pour la Free Software Foundation, ces libertés sont au nombre de 4 :
- La liberté d’exécuter le logiciel C’est la garantie d’absence de conditions restreignant la liberté d’exécuter le logiciel : On peut utiliser le logiciel aussi souvent qu’on le veut, sur autant d’ordinateurs qu’on le veut et pour toutes les utilisations (mais dans les limites imposées par la loi).
- La liberté d’étudier le fonctionnement du logiciel et de l’adapter à ses besoins Ceci implique de pouvoir accéder au code source du logiciel, autrement dit à ses secrets de fabrication.
- La liberté de redistribuer des copies du logiciel C’est l’absence de conditions restreignant la liberté de dupliquer et redistribuer le logiciel : On peut faire autant de copies du logiciel qu’on le veut et les donner à qui on veut.
- La liberté d’améliorer le logiciel et de publier ces améliorations C’est la garantie de la possibilité d’améliorer le logiciel et l’autorisation expresse de publier ces améliorations.
Ce qui différencie donc des logiciels « propriétaire » (par exemple ceux commercialisés par Microsoft ou Adobe) de ceux sous licence libre c’est l’impossibilité pour l’utilisateur de logiciel « propriétaire » de pouvoir profiter des libertés fondamentales listées ci-dessus. Par un rapide raccourci on pourrait dire que le logiciel « propriétaire » reste la propriété de la firme qui le commercialise alors que le logiciel sous licence libre est plus ou moins la propriété de ses utilisateurs et contributeurs.
Les gros acteurs commerciaux du logiciel n’ont pas créé leurs produits en partant de rien et uniquement avec leurs propres ressources intellectuelles et créatives. Ils ont pour la plupart racheté des licences ou intégré des logiciels sous licence libre dans leur propres produits. Parmi les exemples les plus significatifs: Apple avec Mac OS qui est un dérivé de BSD (lui même une branche de développement d’UNIX), Google avec Androïd qui utilise un noyau Linux (Linux est une autre branche de développement d’UNIX).
Par ailleurs, certains gros acteurs de l’informatique (IBM, SUN microsystems, Oracle, etc..), sont impliqués dans la contribution au développement de logiciels libres. Ces acteurs profitent en retour d’un savoir faire, d’une influence et de retombées économiques indirectes.
Des intérêts économiques déclenchent dans certains cas une collaboration entre acteurs du libre et sociétés commerciales et dans certains autres cas des prédations ou des conflits autour de licences « propriétaire ».
Tentons maintenant de comprendre pourquoi le développement et l’utilisation de logiciels libres sont importants. Pour cela partons d’un constat. La plupart des terminaux informatiques (micro-ordinateurs, tablettes, téléphones mobiles, et autres) qui sont vendus comme biens de consommation pour des utilisations domestiques ou professionnelles sont pré-équipés en systèmes d’exploitation et logiciels propriétaires (Google, Apple, Microsoft). Ils sont alors prêts à l’emploi et donnent entière satisfaction à leurs acquéreurs. Pourquoi donc ces utilisateurs éprouveraient-ils le besoin de changer ce qui fait si bien fonctionner leur produit ?
Aucune raison de changer ce qui marche, sinon pour des raisons éthiques ou politiques (au sens large). Mais si on y regarde de plus prêt, et si l’on se pose des questions sur la politique commerciale des grosses sociétés qui font partie de la galaxie du net (infrastructures et services utilisant internet), sur la liberté et la confidentialité des données personnelles, alors on est tenté de rompre avec le piège tissé par l’industrie.
Un des axes stratégiques défini par les poids lourds de cette industrie (Apple, Google, Facebook, Amazon, etc..) consiste à fournir du service supporté par l’infrastructure d’internet. Ces services, inédits il y a une vingtaine d’années, sont basés sur la facilité d’utilisation et une envergure mondiale. A partir de ces services qui ont au départ un aspect humaniste et sympathique (gratuité, partage, sociabilité, ) des activités commerciales directes ou induites apparaissent. C’est une évolution inattendue de notre société de consommation qui rend le consommateur encore plus dépendant. Les firmes qui développent et commercialisent ces services ont de plus en plus tendance à se considérer comme propriétaires des structures qui supportent l’Internet. Dans les faits ils sont propriétaires des fermes de serveurs qui sont raccordés au réseau mondial (voir Google, Facebook et d’autres). L’Internet bien commun d’accès gratuit, vecteur de partage de la connaissance est, de ce fait, menacé par la voracité des GAFAM ( Apple, Google, Facebook, Amazon, Microsoft).
La monopolisation par Microsoft du marché des systèmes d’exploitation et des logiciels associés sur les micro-ordinateurs est un exemple d’activisme commerciale bien mené et d’opportunités à la base de la naissance de Microsoft. Le système d’exploitation qui a permis le départ de cette activité dans les années 1980 n’avait rien d’exceptionnel (comparé à ce qui existait déjà dans le domaine de l’informatique de l’époque). C’est la sous-traitance pour IBM qui fabriquait les premiers micro-ordinateurs à grande diffusion qui a permis à Microsoft de s’implanter comme acteur incontournable. Microsoft est devenue une multinationale qui emploie 148000 personnes dans le monde (en 2020). Entre autre Microsoft a été condamné plusieurs fois par la Commission européenne, entre 2004 et 2013 pour des abus de position dominante.
Microsoft est particulièrement agressif vis à vis des implantations de Linux et des logiciels libres dans le domaine des serveurs. Il a mené des campagnes de publicité négatives vis à vis de cette concurrence qui remporte un succès indéniable auprès des professionnels. Les serveurs tournant sous Linux sont majoritaires dans les infrastructures.
Une des forces des systèmes issus des déclinaisons d’Unix (Linux, BSD…) c’est la ligne de commande. La ligne de commande c’est un peu l’ancêtre des interfaces informatique: l’utilisateur tape des instructions et des commandes au clavier. Les administrateurs de réseaux, les programmeurs et beaucoup d’autres professionnels du secteur préfèrent ce type d’interaction avec les systèmes plutôt que l’utilisation d’interfaces graphiques. C’est cette prévalence de l’utilisation de la ligne de commande chez les professionnels qui a probablement poussé Microsoft a récemment intégrer un interpréteur shell Unix (terminal et ligne de commande nommé « Powershell ») dans MS Windows. Serait-ce un début de reconnaissance ?
En conclusion, pour moi il ne fait aucun doute qu’il faut encourager le développement de logiciels libres pour:
- lutter contre l’appauvrissement de l’offre liée à à la monopolisation galopante du secteur
- faire vivre une alternative à l’hégémonie des GAFAM dans les services internet.